Fiscalité, Innovation
[FISCALITE INNOVATION] Notre analyse des évolutions de la loi de finances pour 2024
Date de publication : 17/07/25
La Loi de Finances (LoF) pour 2025 a profondément remanié les dispositifs fiscaux en faveur de la recherche et de l’innovation, notamment le Crédit d’Impôt Recherche (CIR) et le Crédit d’Impôt Innovation (CII). Plusieurs mesures clés ont été adoptées, parmi lesquelles la suppression du statut de Jeune Docteur (JD), fortement contestée (voir l’article récent de l’Association Bernard Grégory : « L’impact de la fin du dispositif Jeune Docteur : un signal inquiétant pour l’innovation en France » et notre article « Jeune Docteur dans le privé – Quel avenir sans le statut JD du CIR ? »), la fin de l’éligibilité des frais de prise et de maintenance de brevets au titre du CIR, ainsi qu’une forte réduction du taux du CII (voir l’article « Notre analyse des évolutions de la loi de finances pour 2025 »).
Ces évolutions ont un impact particulièrement marqué sur les start-ups et les PME innovantes. Celles-ci s’appuyaient sur ces dispositifs pour recruter de jeunes chercheurs issus du monde académique, protéger leurs inventions et financer les phases de développement de leurs produits innovants. De manière plus générale, ces changements contribuent à l’érosion de l’avantage compétitif de la France en matière de coût du chercheur, face à une concurrence internationale de plus en plus intense (voir notre article « Coût du chercheur 2024 : le CIR, dernier rempart en France face à une concurrence accrue »).
Dans ce contexte, deux Jeunes Entreprises Innovantes (JEI), que nous accompagnons dans la structuration de leur fiscalité de la recherche et de l’innovation, témoignent ici des impacts concrets de ces mesures. Elles partagent également les difficultés anticipées pour la poursuite de leurs projets d’innovation dans ce nouveau cadre législatif.
Fondée en 2020 par Docteur Charlotte Berthaut, Dépist&vous est une start-up innovante spécialisée dans la prévention en santé. Portée par une mission sociétale forte, l’entreprise ambitionne d’améliorer les parcours de soins en intervenant en amont, grâce à un renforcement du volet préventif. Elle conçoit et met en oeuvre des solutions et des actions concrètes pour la prévention et le dépistage précoce des cancers.
Pour mener à bien cette mission, Charlotte Berthaut s’est entourée d’une équipe pluridisciplinaire et d’un comité scientifique composé d’une vingtaine d’experts engagés dans la démarche. Ensemble, ils développent de nouvelles méthodes et parcours visant à améliorer la prévention et le dépistage des cancers. L’objectif est clair : rendre la prévention plus concrète, accessible et engageante afin de lever les freins et les tabous liés au dépistage et proposer une expérience usager réellement mobilisatrice, en phase avec les réalités du terrain.
Ces approches innovantes sont outillées par une solution numérique propriétaire. Celle-ci permet, non seulement d’accompagner les usagers tout au long du parcours de prévention, mais aussi de conduire des études expérimentales rigoureuses. L’enjeu : démontrer, à travers des données probantes, les bénéfices cliniques et médico-économiques des dispositifs mis en œuvre, tant pour les patients que pour le système de santé dans son ensemble.
Charlotte Berthaut, fondatrice de Dépist&vous, start-up à impact, nous présente, tout d’abord, l’entreprise et son ambition.
« Médecin anesthésiste réanimateur et spécialiste des centres de lutte contre le cancer, j’ai notamment exercé pendant 4 ans à l’Institut Bergonié de Bordeaux. Profondément affectée par la maladie cancéreuse, tant sur le plan professionnel que personnel, j’ai été frappée par certaines lacunes majeures en matière de prévention. Animée par une volonté d’entreprendre et de contribuer à l’amélioration du système de santé, j’ai fait le choix, en septembre 2020, de mettre en parenthèse ma carrière de soignant pour me consacrer pleinement à l’amélioration du dépistage des cancers car aujourd’hui, la meilleure façon de guérir du cancer, c’est de le prévenir.
L’activité actuelle de l’entreprise repose sur des travaux de recherche appliqués à la prévention et au dépistage précoce des cancers. Nous explorons de nouvelles méthodologies et concevons des parcours de dépistage personnalisés, soutenus par le développement d’un nouvel outil digital innovant. Ces démarches font l’objet d’évaluations rigoureuses à travers des études destinées à démontrer les bénéfices cliniques et médico-économiques. Sur la base de ces travaux de recherche, nous développons un produit innovant pour diffuser le plus largement possible ce nouvel outil de dépistage. Nous étendons également nos travaux à de nouveaux types de cancers (poumon par exemple) encore non couverts par notre solution actuelle. Profitant de ma formation médicale et de mon réseau, je me suis entourée de partenaires scientifiques et institutionnels pour être en mesure de mener à bien et promouvoir ce projet ambitieux avec l’équipe.
Il est par ailleurs important de rappeler que, chaque jour, 400 nouveaux diagnostics de cancers touchent les actifs. De plus, ces 30 dernières années, les cas de cancers chez les 14-49 ans ont augmenté de 80 %, et les projections évoquent une progression alarmante de 30 % supplémentaires dans les cinq prochaines années. Il est donc urgent d’agir et il est nécessaire de développer de nouvelles approches pour réussir également à sensibiliser ces populations plus jeunes, notamment par le biais de leurs employeurs pour la catégorie des actifs. Convaincus que les entreprises ont un rôle essentiel à jouer dans la prévention et le dépistage, nous avons notamment créé, avec de nombreux partenaires de renom, le Challenge CAC – Companies Against Cancer. Il s’agit d’une initiative que j’ai à cœur de mettre en lumière, et dont l’objectif est d’allier sensibilisation, action concrète et mobilisation collective autour de ce sujet de santé publique.
Notre ambition est claire : faire de Dépist&vous la première plateforme digitale d’accompagnement des citoyens dans la prévention et le dépistage des cancers. »
Alors que l’entreprise renforçait ses fonds propres entre fin 2024 et début 2025, avant d’initier une phase de recrutement au second trimestre, elle a été confrontée à l’instabilité de ces dispositifs de soutien à l’innovation. Elle nous partage son retour d’expérience et nous expose les conséquences concrètes de ce contexte sur la structuration et le développement de son projet. Son témoignage met en lumière les difficultés rencontrées par de nombreuses entreprises innovantes face à cette réforme de la fiscalité de la recherche et de l’innovation, et souligne les enjeux d’un environnement plus lisible et stable pour sécuriser les trajectoires d’innovation.
« Mon premier point porte sur le climat d’incertitude qui entoure aujourd’hui ces dispositifs. Nous nous efforçons de bâtir des plans de financement au plus juste, d’anticiper nos recrutements et de planifier les étapes de nos travaux dans le temps. Cette approche nous permet de structurer notre projet, de poser les bases d’un développement pérenne pour l’entreprise et d’offrir de la visibilité à nos partenaires et financeurs. Or, les récentes modifications apportées au CIR et au CII nous contraignent à revoir nos prévisions budgétaires à la baisse. Cela engendre des décalages, voire nous oblige à envisager des renoncements en matière de recrutements et d’investissements, pourtant essentiels à l’avancement de nos travaux. Très concrètement, ces suppressions ont directement impacté notre stratégie de recrutement sur les derniers mois. Nous avions envisagé l’embauche d’un jeune chercheur issu du milieu académique pour un poste de chef de projet R&D, afin de bénéficier d’un profil formé à la recherche. Ce recrutement était rendu possible grâce au soutien associé au statut de Jeune Docteur dans le cadre du CIR. Sa suppression nous a contraint à nous réorienter vers d’autres options, plus compatibles avec nos ressources. »
« Parallèlement à nos travaux de recherche, nous avons amorcé la conception et le développement du produit innovant qui permettra de valoriser ces résultats, avec pour objectif de diffuser largement ce nouvel outil de dépistage. La forte diminution du taux du CII constitue un nouveau coup dur, tant pour nous que pour toutes les start-ups et PME engagées dans la conception et le développement de produits innovants. Cette mesure aura inévitablement un impact négatif, soit en retardant les dates de mise sur le marché des innovations, soit en diminuant leur différentiation. »
« C’est d’autant plus regrettable que ces outils de financement dédiés aux entreprises innovantes nous permettent concrètement de faire progresser nos travaux et de structurer nos équipes en recrutant de nouveaux talents. Faute de renforcement, qui semble malheureusement hors de portée dans le contexte actuel, ils mériteraient, à minima, une stabilité du soutien apporté, ainsi qu’une reconsidération des mesures récemment prises. Supprimer, dans ces dispositifs, le soutien à la protection des innovations, remettre en cause un statut favorisant fortement le recrutement de collaborateurs issus de la recherche publique, ou encore réduire de manière significative l’appui au développement de solutions innovantes, ne constituent pas des orientations qui paraissent judicieuses à court, moyen ou long terme pour renforcer l’innovation française. De plus, ces décisions envoient des signaux peu encourageants qui tendent à freiner l’investissement dans des projets de recherche à fort impact sociétal comme les nôtres, alors même qu’ils sont déjà extrêmement difficiles à co-financer. »
Fondée en 2022 par quatre experts de l’industrie électronique, Keysom est une start-up deeptech spécialisée dans le secteur de l’électronique, constituée d’une vingtaine de collaborateurs. Son équipe R&D de 17 personnes développe une nouvelle approche de conception de processeurs sur mesure, à destination des acteurs du semi-conducteur et des systèmes embarqués. En conjuguant haute performance, adaptation fine aux besoins applicatifs et efficacité énergétique, Keysom ambitionne d’offrir une alternative compétitive et responsable sur un marché en pleine mutation.
Cyril Sagonero (CEO) et Luca Testa (COO), co-fondateurs de Keysom, nous présentent leur société et son ambition.
« Keysom vise à révolutionner l’industrie des semi-conducteurs grâce à sa plateforme no-code dédiée à la conception de processeurs et d’accélérateurs personnalisés basés sur l’architecture RISC-V. En combinant expertises logicielles et matérielles, nous souhaitons démocratiser la conception de puces sur mesure en la rendant plus rapide, plus intelligente et plus accessible. Notre technologie phare, le CoreXplorer, dont nous venons de sortir la première version en avril 2025, permet d’explorer et d’optimiser des millions de configurations possibles pour concevoir des architectures parfaitement adaptées aux besoins spécifiques en matière de performance, d’efficacité énergétique et de coût.
La plateforme permet à l’utilisateur de comparer librement l’ensemble des paramètres et combinaisons disponibles pour les cœurs proposés par Keysom, en fonction de critères, tels que la surface silicium, les ressources FPGA (Field-Programmable Gate Array) utilisées, la consommation énergétique, ou encore les performances mesurées en CoreMarks, afin d’identifier la configuration la plus adaptée à son application. L’objectif est ainsi de sécuriser les choix techniques en amont de l’intégration de l’IP au sein du system-on-chip (SoC) cible. Le tout s’effectue via une interface graphique simple et intuitive, sans qu’aucune ligne de code ne soit nécessaire pour l’utilisateur.
À l’issue du processus, l’utilisateur peut même flasher le FPGA pour tester directement la configuration de cœur sélectionnée dans l’environnement Keysom. CoreXplorer peut alors génèrer automatiquement les composants matériels, que ce soit le RTL (Register Transfer Level) pour la fabrication silicium ou le bitstream pour les FPGA, mais fournit également tout l’écosystème logiciel associé, permettant de coder immédiatement sur le cœur généré : pilotes (drivers), support pour systèmes d’exploitation temps réel, ou même compilateur personnalisé.
L’offre de Keysom se concentre aujourd’hui sur les marchés 32 bits, notamment ceux de l’IoT, où les besoins en consommation réduite et en coût minimal sont cruciaux : contrôle moteur, gestion d’énergie, GNSS (Global Navigation Satellite System), ou encore capteurs intelligents. Ces domaines, où une architecture généraliste serait souvent surdimensionnée, tirent pleinement parti de l’approche sur mesure de Keysom. De plus, nous maîtrisons désormais une chaîne complète permettant de déployer de petits modèles d’IA directement sur nos cœurs, sans nécessiter d’accélérateur externe. »
Les deux co-fondateurs nous livrent également leur retour d’expérience suite aux récentes évolutions du CIR. Après avoir bouclé une levée de fonds en septembre 2024 (Keysom Announces the Completion of a €4M Fundraising Round), l’entreprise a été rapidement confrontée aux conséquences concrètes de ces changements.
« Comme pour de nombreuses start-ups et PME engagées dans le développement de technologies de rupture, nos dépenses de R&D sont élevées, tandis que notre chiffre d’affaires reste encore limité. Le soutien apporté par le CIR a donc un impact structurant dans notre plan de financement. Après avoir mené à bien une levée de fonds en septembre 2024, un exercice long et complexe, nous avons été contraints de remettre immédiatement en question le plan de financement que nous venions tout juste de stabiliser, en raison des incertitudes entourant ce dispositif. La situation nous affecte d’autant plus que notre équipe intègre plusieurs Jeunes Docteurs, et que nous investissons des montants significatifs dans la protection de nos innovations, notamment à travers des dépôts de brevets à l’échelle internationale.
Les décisions prises, que nous avons par ailleurs du mal à comprendre, notamment lorsqu’elles consistent à ne plus soutenir la protection des innovations ou à freiner l’intégration de jeunes chercheurs dans le secteur privé, ont des conséquences lourdes pour notre entreprise. Nous devons désormais reconstruire notre stratégie financière et réadapter nos orientations, dans un contexte où les ressources sont plus contraintes. La remise en cause du statut Jeune Docteur ne remet pas seulement en question la possibilité d’embaucher davantage de jeunes chercheurs, elle affecte surtout notre capacité à attirer les meilleurs talents scientifiques dans un secteur, celui de la microélectronique, où les profils compétents sont rares et très recherchés.
En tant que start-up deeptech, nous ne pouvons rivaliser avec les salaires et les avantages proposés par les grands groupes qui dominent historiquement ce marché. Le statut Jeune Docteur, en réduisant le coût de recrutement de ces profils stratégiques, constituait un levier essentiel pour rétablir un minimum de compétitivité et renforcer notre attractivité. C’est un outil qui permettait concrètement à des structures comme la nôtre de contribuer à la réindustrialisation de la filière, à l’innovation de rupture et, plus largement, à la souveraineté technologique de la France et de l’Europe.
Sa suppression affaiblit notre positionnement, nous oblige à revoir nos ambitions en matière de recrutement scientifique, et nous contraint à ralentir notre dynamique d’embauche. Par ailleurs, notre stratégie de propriété intellectuelle est elle aussi fragilisée. Nous devons réévaluer nos projets de dépôts et d’extensions de brevets à l’international, alors que nous évoluons dans un environnement hautement concurrentiel, stratégique et mondialisé, où la protection de nos technologies est un impératif absolu. »
Auteur : Julien Briand, Consultant Sénior
Co-autrice : Audrey Guin, Manager et Consultante Sénior
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