[FISCALITE INNOVATION] Les bonnes pratiques pour déclarer sereinement ses dépenses de personnel au CIR

Date de publication : 19/03/24

visuel bonnes pratiques



La dépense de personnel est la première dépense de recherche éligible déclarée par les entreprises bénéficiaires du Crédit Impôt Recherche (CIR). Selon les derniers chiffres du MESR (2021) sur le CIR, environnée des frais de fonctionnement, elle représente près de 80 % des dépenses déclarées. Cette dépense est liée au temps passé par les chercheurs et techniciens sur les opérations éligibles au CIR et à leur coût horaire. Le principal motif d’accroche avec l’administration lors des contrôles CIR porte sur le pointage des temps. Au vu des enjeux et des exigences toujours croissantes de l’administration, comment sécuriser la prise en compte de ces dépenses de personnel ?

Ce qui dit la loi

La prise en compte des dépenses de personnel dans l’assiette de calcul du CIR est prévue au quater B II b de l’Article 244 du Code Général des Impôts. Le paragraphe énonce que sont éligibles « les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés à ces opérations ».

La définition de la notion de chercheur et/ou technicien au sens du CIR est donnée au 1 de l’article 49 septies G de l’annexe III au CGI. Ainsi :

  • « Les chercheurs sont des scientifiques ou des ingénieurs travaillant à la conception ou à la création de connaissances, de produits, de procédés, de méthodes ou de systèmes nouveaux ».
  • « Les techniciens de recherche travaillent en étroite collaboration avec les chercheurs, pour assurer le soutien technique indispensable aux travaux de recherche et de développement expérimental. »

Il y est également précisé que dans le cas très répandu des PME où le personnel participant aux travaux de recherche n’est pas dédié à la recherche ou n’est pas exclusivement affecté aux opérations de recherche, seule la part de la rémunération à l’occasion des opérations de recherche sera prise en compte : « dans le cas des entreprises qui ne disposent pas d’un département de recherche, les rémunérations prises en compte pour le calcul du crédit d’impôt sont exclusivement les rémunérations versées aux chercheurs et techniciens à l’occasion d’opérations de recherche ».

Il s’agit donc, pour valoriser les dépenses de personnel, de déterminer le temps passé sur les opérations de recherche éligibles par les chercheurs et techniciens sur l’année écoulée, puis de multiplier ces heures par le taux horaire (ratio de la rémunération éligible et des heures travaillées).

Se pose donc la question d’identification du temps passé sur les opérations de recherche.

L’éclairage diffus de la doctrine administrative

La doctrine administrative prévoit au § 170 du BOI-BIC-RICI-10-10-20-20 que « les salaires des chercheurs et techniciens de recherche et personnel assimilé affectés à temps partiel ou en cours d’année à des opérations de recherche sont pris en compte au prorata du temps effectivement consacré à ces opérations. Les entreprises doivent pouvoir établir, avec précision et rigueur, le temps réellement et exclusivement passé à la réalisation d’opérations de recherche, toute détermination forfaitaire étant exclue ».

On retiendra peu d’éléments concrets apportés au contribuable pour prouver le caractère effectif du temps passé par le personnel de recherche, si ce n’est deux substantifs « précision » et « rigueur », qui restent des notions subjectives.  Pointer son temps sur le projet au fur et à mesure de l’année suffit il à prouver le temps réellement et exclusivement passé sur l’opération de recherche ?

Au contraire, sur la notion de prorata, la doctrine administrative est éclairante : il permet « de déterminer la part de rémunération des personnels non affectés exclusivement à des opérations de recherche prise en compte dans la base de calcul du CIR » et il est calculé « en rapprochant le nombre d’heures (ou jours) consacrés à la recherche par rapport au total d’heures travaillées » et ensuite « appliqué à la totalité du salaire des personnels concernés dès lors qu’il constitue la contrepartie des heures travaillées y compris des congés payés. »

On l’aura compris, le nœud du problème est la détermination du nombre d’heures consacrées à la recherche. Deux seuls petits adjectifs s’imposent à nous : elle doit être rigoureuse et précise.

La riche jurisprudence sur les dépenses de personnel

La jurisprudence est riche en termes de dépenses de personnel et force est de constater le plus souvent en défaveur du contribuable.

Elle attrait :

  • à la rémunération du personnel et ses accessoires avec l’inéligibilité de certaines charges patronales, la prise en compte ou non d’indemnités, de primes ou d’avantages en nature vs frais professionnels,
  • à la qualification du personnel avec des considérations sur l’assimilation des salariés non diplômés à des ingénieurs au regard de leur niveau et activité, au lien étroit avéré entre technicien et chercheur, à la supervision avérée du technicien par le chercheur, à l’éligibilité des personnels non techniques comme les fonctions commerciales/marketing/achat, au caractère indispensable du soutien technique du salarié,
  • au statut particulier du salarié jeune docteur, avec des considérations sur le calcul de la non-variation d’effectif l’année de l’embauche, la nécessité d’un avenant au CDI en cas de soutenance post embauche, la notion de premier CDI, les antécédents professionnels du jeune docteur ou encore l’insuffisance d’une attestation sur l’honneur pour prouver qu’il s’agit d’un premier recrutement en lien avec le diplôme de docteur,
  • au cas particulier de certains personnels comme les personnels mis à disposition qui doivent travailler dans les locaux et avec les moyens de la société déclarante ou les dirigeants non-salariés,
  • au pointage précis et rigoureux du personnel.

C’est ce dernier point qui est le plus relevé et constitue le principal point d’accroche entre contribuable et administration.

Relevons les deux jurisprudences majeures et récentes des deux Cours Administratives d’Appel (CAA) de Nantes et Paris sur le pointage des temps.

  • Le premier arrêt est celui de la 1ère chambre de la CAA de Nantes du 28 novembre 2023 (n°22NT02905). Il s’agissait d’un cas d’une opération de recherche déclarée au CIR par la société Sedisor, effectuée pour le compte d’un donneur d’ordre. L’administration avait été dans l’incapacité de déterminer si les actions de recherche avaient été réalisées par le déclarant ou l’entreprise donneuse d’ordre. Il n’avait été fourni à l’administration que le contrat de prestation jugé insuffisant pour prouver la réalité de l’affectation du personnel. Ainsi, alors même que l’expert avait estimé que « les actions pouvaient être regardées comme des travaux de recherche », l’absence de fiches détaillées concernant les heures réellement consacrées au développement avait été déplorée (il était ainsi impossible de déterminer si les actions étaient propres à l’entreprise). Au considérant 8, il est souligné qu’ « une telle absence ne permet pas de vérifier la cohérence des données », que les tableaux de temps n’étaient pas détaillés « tâche par tâche » et se bornaient parfois à « indiquer forfaitairement sept heures quotidiennes, durant 193 jours, sans aucune autre précision ».

Ainsi à la question supra : pointer son temps sur le projet au fur et à mesure de l’année suffit il à prouver le temps réellement et exclusivement passé sur l’opération de recherche, la réponse est non. Pour l’administration, pointer son temps régulièrement sur une seule opération de recherche sans en détailler les phases/actions précises revient même à prendre en compte forfaitairement le temps passé !

  • Le second arrêt est celui de la 2ème chambre de la CAA de Paris du 13 décembre 2023 (n°22PA01220). Le pointage des temps était directement remis en question. La société Cellectis avait présenté des tableaux de synthèse pour certains directeurs non pointant issus de l’extraction de leurs agendas. Les heures étaient ainsi ventilées sur 3 catégories dont « Admin » (phase écartée du CIR par la société), « Research et Innovation » (phase intégrée au CIR) et le « projet « Stem Cells Research ». L’administration a néanmoins estimé que la catégorie « Research et Innovation » ne donnait « aucun détail sur la nature des missions ou tâches effectuées », et les intitulés du projet « Stem Cells Research » étaient « abscons ou généraux relatifs le plus souvent à des réunions, des appels téléphoniques ou des rendez-vous. »

Ainsi à la question supra : pointer son temps de façon détaillée sur le projet au fur et à mesure de l’année suffit il à prouver le temps réellement et exclusivement passé sur l’opération de recherche, la réponse est encore non. Pour l’administration, les tâches doivent être à minima précises, techniques et spécifiques.

En toile de fond, les exigences accrues du MESR

Depuis 2018, le MESR a renforcé ses exigences quant à la démonstration par les entreprises du temps de recherche effectif de ses chercheurs et techniciens. Dans son guide le plus récent, « il est demandé aux entreprises non seulement de bien justifier la qualification, les compétences et l’adéquation aux travaux exposés du personnel, mais également de décrire le rôle précis de chacun, et ce pour chaque opération de recherche. Ces précisions apparaissent d’autant plus importantes quand des travaux liés à l’opération de R&D menée en interne sont sous-traités. Ainsi, l’expert du MESR, pour s’assurer de l’adéquation des ressources déclarées avec les travaux décrits, devra prendre en considération toutes les actions menées en interne ou par un tiers. »

visuel opération R&D

Extrait du Guide CIR MESRI sur les dépenses de personnel

On retrouve, dans le modèle de rédaction de l’opération de recherche, un paragraphe dédié à la participation effective de chacun dans cette opération. Chaque année, le guide renforce ses exigences. Pour 2023, il y est demandé :

  • de décrire le rôle de chacun dans l’opération de R&D,
  • de préciser la fonction, le diplôme, les heures travaillées (y compris R&D) et les heures sur l’opération,
  • de justifier par tout élément pertinent et probant l’étroite collaboration entre les techniciens et chercheurs,
  • de démontrer le caractère indispensable de la contribution si le prorata R&D est faible pour le participant,
  • de justifier les prorata élevés en fournissant le « détail précis des tâches scientifiques et techniques de chaque personnel ».

Cette exigence sur le rôle de chacun des personnels se retrouve de façon inédite en 2023 également dans la trame d’un dossier de demande d’agrément CIR.

visuel opération R&D suite

Extrait du Guide CIR MESRI sur la procédure d’agrément

Ce que l’on apprend des contentieux ou contrôles fiscaux en cours sur le pointage des temps

C’est au juge de l’impôt de constater si les opérations réalisées par le contribuable remplissent ou non les conditions pour bénéficier du CIR et ce, compte tenu notamment de l’abstention d’une des parties à produire les éléments qu’elle est seule en mesure d’apporter.

Ainsi, la non-présentation de feuilles de temps détaillées ne permettrait pas à l’administration d’apprécier si les opérations réalisées par le contribuable entrent dans le champ d’application du CIR, ce qui explique les nombreux contentieux en cours sur le sujet.

Et même, lorsque des feuilles de temps sont fournies en bonne et due forme (pointage par phase du projet, par personne et par jour) et que les temps passés sont jugés effectifs, l’administration s’essaie sur le terrain du procédé/mode/process de pointage.

Il n’est plus rare d’avoir des questions telles que :

  • Qui pointe le temps de recherche éligible au CIR ?
  • A quelle fréquence (quotidienne, hebdomadaire, mensuelle) ?
  • Le chef de l’équipe R&D vérifie-t-il ou valide-t-il la cohérence et exactitude du pointage ?
  • Quel logiciel est utilisé ?
  • Est-il possible de revenir sur ses temps pointés avec ce logiciel ?
  • Existe-t-il un seuil de blocage d’heures pointées par jour afin de ne pas dépasser les heures travaillées déclarées par jour ?

Il semble aujourd’hui difficile pour une entreprise de déclarer du CIR sans disposer à minima une base de pointage, afin de s’affranchir du risque de redressement fiscal

Les bonnes pratiques à suivre

En résumé, pour qu’il y ait adéquation entre le temps déclaré et l’activité décrite et maîtriser le risque fiscal, il est désormais indispensable de disposer d’un suivi des temps non pas seulement « PR » (Précis et Rigoureux) mais que l’on appellera « PRECIS » :

  • P pour PRECIS ; l’opération doit être découpée en différentes phases de la démarche expérimentale : bibliographie, élaboration des hypothèses de recherche, échantillonnage, essais…
  • R pour RIGOUREUX ; le temps doit être pointé à fréquence élevée (si possible par jour), par tous les participants (y compris les directeurs) et surtout pas de façon forfaitaire.
  • E pour EXHAUSTIF ; il est important que les différentes phases de l’opération de recherche s’inscrivent dans une chaîne vertueuse où chaque phase est liée à une autre ; le temps passé sur des phases inéligibles ou sur d’autres activités hors R&D peut être pointé également et peut aider à souligner le caractère éligible des phases R&D.
  • C pour COHÉRENT ; les temps passés doivent être cohérents avec la qualification du personnel et les tâches réalisées. Si un technicien a pointé la moitié de son temps, il ne peut pas avoir réalisé un unique essai (quantitatif) et encore moins l’analyse bibliographique (qualitatif) ; en outre ses temps doivent être cohérents avec ceux du chercheur l’encadrant pour prouver la réalité du lien étroit entre eux.
  • I pour INFORMATIF ; les temps passés doivent être documentés par toute forme d’écrit : comptes-rendus de réunion technique, notes techniques, échanges de mail apportant la preuve matérielle de la réalisation des travaux.
  • S pour SOUTENU ; les temps passés doivent être pointés au fur et à mesure de l’avancement de l’opération de recherche (pas de reconstitution a posteriori) pour constituer une « matérialité » du temps passé.
visuel précis

Le pointage des temps pour sécuriser ses dépenses de personnel, par In Extenso Innovation Croissance

Chez In Extenso Innovation Croissance, nous encourageons nos clients CIR à mettre un point d’honneur dans la justification et la matérialité des travaux de recherche. Pour cela, nous mettons à disposition gratuitement un logiciel de pointage des temps pour nos clients, paramétrable et conforme aux nouvelles exigences de l’administration.

 

Auteure : Véronique Collin, Experte Fiscalité de l’Innovation

 

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