Fiscalité, Innovation
[FISCALITE INNOVATION] Notre analyse des évolutions de la loi de finances pour 2024
Date de publication : 10/07/25
Dans un contexte réglementaire en constante évolution, la fiscalité liée à l’innovation et à la recherche demeure un enjeu stratégique majeur pour les entreprises. Les décisions jurisprudentielles du premier semestre 2025 (voir nos articles récents sur les jurisprudences d’intérêt en 2024 – dépenses de personnel et subventions apportent des précisions essentielles quant à l’application des dispositifs fiscaux du Crédit d’Impôt Recherche (CIR), du Crédit d’Impôt Innovation (CII) et du régime IP Box. Ces jugements mettent en évidence l’importance d’une documentation rigoureuse et fournissent des orientations précieuses pour sécuriser et optimiser les démarches fiscales des entreprises innovantes. Voici un résumé détaillé des principales décisions rendues au cours de cette période.
Le Tribunal administratif de Lyon a rendu une décision particulièrement importante sur l’application du régime IP Box, prévu par l’article 238 du Code général des impôts. La société Nidec ASI, spécialisée dans la conception et l’assemblage d’équipements de contrôle des processus industriels, avait développé un progiciel protégé par le droit d’auteur nommé « N0XI ». Initialement, l’administration fiscale avait rejeté la demande de régularisation déposée par la société pour les années 2020 et 2021, visant à bénéficier d’un taux réduit d’impôt sur les sociétés de 10 % sur les revenus issus de la concession de ce logiciel.
Le Tribunal administratif de Lyon a toutefois estimé que les dispositions de l’article 238 n’imposaient pas de délai strict pour l’option IP Box, à condition que cette option soit exercée dans le délai général de réclamation prévu par l’article R. 196-1 du Livre des procédures fiscales. En conséquence, le tribunal a jugé que la société était en droit de demander une rectification après la date limite de déclaration initiale.
Le tribunal a précisé que l’absence d’option initiale ne constituait pas une décision de gestion irrévocable opposable à l’entreprise, à condition qu’elle soit régularisée dans les délais légaux. Ainsi, la requête de Nidec ASI a été partiellement satisfaite, et le tribunal a ordonné la réduction des cotisations d’impôt sur les sociétés et de prélèvements sociaux auxquels elle était assujettie, permettant une imposition séparée au taux réduit prévu par le dispositif IP Box.
Ainsi, une société peut exercer son option pour l’IP Box et donc bénéficier des avantages du dispositif jusqu’à l’expiration du délai de réclamation. Il ne peut pas lui être opposé qu’en n’ayant pas exercé l’option dès sa déclaration de résultats souscrite initialement, elle aurait pris une « décision de gestion » qui lui serait donc opposable.
Cette jurisprudence ouvre une opportunité importante pour les entreprises qui n’ont pas respecté le délai initial du 15 mai pour exercer l’option IP Box. Elles peuvent désormais procéder par voie rectificative en respectant le délai général de réclamation, sous réserve d’apporter les justificatifs appropriés.
Cette décision constitue la première jurisprudence significative concernant le dispositif IP Box et préfigure d’autres décisions très attendues sur des aspects encore flous, notamment sur les modalités précises d’éligibilité et les critères de calcul des revenus relevant du dispositif.
Dans cette affaire, la société Equadex contestait un redressement fiscal relatif à un crédit d’impôt innovation (CII) concernant un logiciel nommé « Ulysse ». Initialement, l’administration fiscale avait rejeté l’éligibilité des travaux réalisés entre 2013 et 2014 au motif que la version initiale du logiciel était déjà commercialisée depuis janvier 2013. L’administration estimait donc que les améliorations ultérieures ne constituaient pas une innovation substantielle ouvrant droit au crédit d’impôt.
La Cour administrative d’appel de Toulouse a infirmé cette analyse en considérant que les améliorations apportées au logiciel après sa première commercialisation pouvaient effectivement constituer des innovations éligibles au CII. La Cour s’est appuyée sur l’analyse technique détaillée des évolutions apportées au logiciel, précisant notamment que les travaux de 2014 avaient permis d’intégrer de nouvelles fonctionnalités significatives comme un module de chiffrage spécifique au vol, la transmission automatique de chiffrages via une visio-expertise, et des améliorations notables de l’ergonomie générale du produit.
La cour a relevé que ces améliorations dépassaient le cadre d’une simple mise à jour ou maintenance, et constituaient véritablement des opérations de conception de prototypes ou installations pilotes au sens des dispositions applicables au CII. Ainsi, la cour a décidé que les dépenses liées à ces améliorations étaient bien éligibles au CII, annulant ainsi le redressement fiscal initialement opéré par l’administration.
Cette jurisprudence constitue une clarification importante pour les entreprises innovantes, confirmant que des améliorations substantielles sur des logiciels existants, même déjà commercialisés, peuvent ouvrir droit au bénéfice du CII. Elle constitue aussi une rare jurisprudence favorable aux entreprises en matière de CII.
Dans cette affaire, la société French Maker avait sollicité le bénéfice du CIR au titre des années 2020 et 2021 pour des dépenses de personnel engagé dans des opérations de recherche. L’administration fiscale avait rejeté ces demandes, considérant que les salariés concernés ne disposaient pas des qualifications requises pour être qualifiés de chercheurs ou de techniciens de recherche.
Le Tribunal administratif de Melun a examiné en détail les profils et fonctions des salariés concernés. Selon l’article 49 septies G de l’annexe III du Code général des impôts, pour être qualifiés de chercheurs, les salariés doivent soit posséder un diplôme d’ingénieur ou équivalent, soit avoir acquis des compétences techniques assimilées à celles d’un ingénieur par leur expérience professionnelle. Quant aux techniciens, ils doivent travailler sous la supervision directe de chercheurs et apporter un soutien technique indispensable aux travaux de recherche.
Le tribunal a jugé que les salariés concernés, dont les qualifications étaient majoritairement commerciales ou techniques sans rapport direct avec les activités scientifiques et sans expérience démontrée équivalente à une qualification d’ingénieur, ne répondaient pas à ces critères. Plus précisément, le tribunal a souligné que l’un des salariés, bien que responsable R&D, ne possédait qu’un diplôme de CAP de vente et ne justifiait d’aucune formation spécifique en matière scientifique suffisante pour être assimilé à un chercheur. D’autres salariés, occupant des fonctions commerciales ou techniques sans qualification adéquate ni expérience spécifique prouvée, ne remplissaient pas davantage les conditions requises pour être considérés comme techniciens de recherche.
En conséquence, le Tribunal administratif de Melun a confirmé la décision de l’administration fiscale de rejeter les dépenses de personnel engagées par la société French Maker pour les années 2020 et 2021, au motif qu’elles ne remplissaient pas les critères stricts fixés par la réglementation relative au CIR.
On s’était habitué à des jurisprudences plutôt favorables concernant la qualification du personnel de recherche comme celle majeure du Conseil d’Etat (arrêt Nurun du 24 février 2022) qui avait admis que la circonstance que les salariés ne disposeraient pas d’un diplôme ou d’une qualification professionnelle dans le domaine scientifique ne ferait pas obstacle à leur qualification de techniciens de recherche.
Cette jurisprudence rappelle finalement aux entreprises l’importance de justifier rigoureusement les qualifications du personnel déclaré en recherche pour sécuriser leurs demandes de CIR, comme apporter la preuve qu’ils ont atteint la qualification en interne ou qu’ils apportent un soutien technique indispensable.
Dans cette affaire, la société ABMI Ingénierie contestait un redressement fiscal lié à la remise en cause de ses droits au CIR pour les exercices 2012, 2013 et 2014. L’administration fiscale avait initialement refusé de reconnaître l’éligibilité de plusieurs projets de recherche réalisés par l’entreprise.
Face au litige, la Cour administrative d’appel de Lyon a ordonné une expertise judiciaire afin d’évaluer précisément l’éligibilité de ces projets au regard des critères définis par l’article 244 quater B du Code général des impôts et par les dispositions de l’article 49 septies F de l’annexe III à ce même code. À l’issue de cette expertise, la cour a reconnu éligibles au CIR trois projets sur les six présentés initialement.
En conclusion, la Cour administrative d’appel de Lyon a partiellement satisfait les demandes de la société ABMI Ingénierie en reconnaissant l’éligibilité de certains projets suite à l’expertise judiciaire. Ce recours démontre l’importance des expertises indépendantes pour valider techniquement l’éligibilité au CIR, particulièrement lorsqu’un litige avec l’administration fiscale survient sur des critères techniques et scientifiques complexes.
Dans cette affaire, la société Onepoint contestait un refus partiel de restitution d’une créance liée au CIR concernant des dépenses de personnel engagées en 2014 par deux sociétés (Vision Consulting Group et Onepoint Vision), dont elle est devenue ayant droit. Les dépenses en cause concernaient principalement des salariés affectés à des fonctions de pilotage de projets de recherche.
Initialement, l’administration fiscale avait accepté partiellement la prise en compte des dépenses liées à certains salariés, sur avis d’un expert du ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI). Cependant, l’administration avait refusé les dépenses relatives à plusieurs salariés exerçant essentiellement des fonctions de pilotage et de gestion de projets (« project managers »).
Le Tribunal administratif de Paris a confirmé le refus de l’administration fiscale sur ce point. Il a rappelé que seules les dépenses relatives au personnel directement et exclusivement affecté à des activités de recherche scientifique et technique sont éligibles au CIR, conformément aux dispositions de l’article 244 quater B du Code général des impôts.
En l’espèce, le tribunal a jugé que les activités de pilotage, même si elles étaient nécessaires au développement des projets, ne constituaient pas en elles-mêmes des activités de recherche et développement éligibles au crédit d’impôt. En conséquence, les dépenses liées aux salariés occupant exclusivement des fonctions de pilotage ou de gestion de projet ont été jugées non éligibles.
Le tribunal a néanmoins admis la prise en compte des dépenses liées à plusieurs autres salariés pour lesquels la société Onepoint a pu apporter la preuve d’une implication directe dans les activités techniques de recherche, grâce notamment à la production de fiches collaborateurs précises décrivant leur rôle et leur apport technique concret aux projets.
Cette jurisprudence met clairement en évidence que les fonctions strictement administratives ou de management de projets ne sont pas considérées comme des dépenses éligibles au CIR, réaffirmant ainsi l’importance d’une documentation rigoureuse (voir nos articles « Contrôle Fiscal du CIR : comprendre la procédure et se préparer efficacement » et « Les bonnes pratiques pour rédiger efficacement ses opérations de R&D ») sur la nature exacte des activités exercées par les collaborateurs concernés.
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Auteur : Philippe Makowski, Directeur Fiscalité de l’Innovation
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